La maladie de Jeanne
En août 2014 nous avons publié un article recensant les diverses représentations picturales de Jeanne, ce qui nous a valu un abondant courrier, dont un message provenant d'un éminent endocrinologue américain, qui au vu de ces portraits envisageait un qu'elle aurait souffert d'un désordre thyroïdien... De là nous avons décidé d'explorer la piste d'une maladie de la Pucelle!
Les recherches que nous avons effectuées pour l'article concerné ( voir "le visage de Jeanne") nous ont amenés à constater la répétition d'une anomalie sur le visage de notre héroïne...
Notre ami Monio, dans un article paru sur son site à propos de la "reconstruction du visage de Jeanne" (voir en ligne), s'interroge sur la même difformité qu'il constate quant à lui sur la tête d'Orléans.
La tête du Musée d'Orléans, sous divers angles
Rappelons que cette sculpture en pierre polychrome, retrouvée dans les ruines d'une église locale, a longtemps été considérée comme étant le portrait de Jeanne... Des auteurs (catholiques) s'en sont servis pour illustrer divers ouvrages, et le prestigieux atelier de copie du Musée du Louvres en a produit un fac-similé en plâtre... Mais depuis qu'une anthropologue allemande travaillant pour le BKA (la police criminelle allemande) s'est livrée à la comparaison scientifique de ce visage avec celui de la Dame des Armoises du Château de Jaulny, pour en conclure que la même femme y était représentée à des âges différents, cette tête est devenu celle de Saint Maurice!
Le fait que le dénommé Saint Maurice ait été le commandant de la légion romaine dite "thébaine" car provenant des alentours de Thèbes, en Egypte, donc noir et vraisemblablement barbu, ne gêne en rien les "historiens".
Saint Maurice comme soldat égyptien, cathédrale de Magdebourg (Dom St. Mauritius), ca. 1250
L'hypothèse de Monio
Monio constatant la protubérance des yeux de Jeanne, qu'il qualifie "d'yeux de grenouille", échafaude l'hypothèse que ce visage peut être dû aux ciseaux de deux sculpteurs...
- Un très doué qui aurait sculpté le bas du visage
- et un autre bien moins expert (débutant?) les yeux...
S'il est vrai que ce genre de coopération artistique est courante autrefois en peinture,
- Un apprenti est chargé de peindre (barbouiller) le fond,
- Le maître peint le sujet principal,
- Et des élèves déjà compétents sont chargés de peintre le décor d'arrière-plan...
On ne connait pas d'équivalent en sculpture...
Pour nous, la thèse de Monio ne tient pas, c'est bien le même artiste qui a réalisé l'ensemble de cette tête!
Et surtout qui l'a représentée telle qu'elle devait être au moment où elle a posé.
Avec ces yeux proéminents qui laissent penser à une exophtalmie assez prononcée, symptôme d'un deséquilibre thyroïdien.
Nous avons donc recherché dans la galerie des portraits de notre précédent article des représentations de Jeanne présentant ce même défaut...
Le retable des Rois Mages (Drei König Altar)
Vue partielle du volet droit du retable
Sur ce portrait, on peut voir les yeux globuleux de Jeanne
L'aveu au Roi René
En robe verte et le marlin des Charbonniers à la main
Là encore, les yeux exorbités!
Le retable de Gand
Vue partielle du volet des Chevaliers du Christ sur le Retable de Gand
Là encore, on note la taille des paupières...
Et la liste n'est pas close...
En fait, on peut résumer les découvertes faites quant au physique de Jeanne, en ne se contentant pas seulement de l'apparence des yeux !
Les différents signes cliniques à prendre en considération.
- L'aménorrhée citée par Jean d'Aulon, son écuyer qui l'habille : Il nous informe que la Pucelle ne souffrait pas "de la maladie secrète des femmes"
- Les grandes mains : L'information ici nous est transmise par Serguei Gorbenko, suite à la découverte des restes de Jeanne dans la crypte de Dunois, en la basilique de Cléry saint André.
- La poitrine de Jeanne : On a là les témoignages de d'Aulon et de d'Alençon, qui témoignent sur "les tétins qu'elle avait fort beaux".
- D'autres témoignages évoquent l'absence de toison pubienne de Jeanne...
- Sans oublier la taille de l'héroine, que Gorbenko a estimée, au vu de la longueur des fémur et tibia de ses restes, à 1.74/1.75m, ce qui reste une taille inhabituelle pour une femme du Moyen-âge !
Quelles pathologies peuvent produire ces types de désordre ?
- Une tumeur hypophysaire bénigne.
- Une hypertrophie thyroïdienne.
On peut envisager pour Jeanne une acromégalie avant la puberté, qui aurait entrainé, d'une part le gigantisme qu'elle affiche (et qui a certainement conduit à son choix dans cette mission), et en même temps la taille de ses mains, et d'autre part une insuffisance surrénale qui va entrainer une hypersécrétion de prolactine, responsable de la croissance des seins, une diminution de la pilosité, ainsi qu'une diminution du taux d'hormones sexuelles conduisant à une aménorrhée.
Existe-t-il des marqueurs de cette ou ces pathologies dans le squelette ?
Certainement des lecteurs auront-ils la compétence pour répondre à cette question... Si oui, nous pourrions consulter Serguei Gorbenko, qui a pu,(et certainement dû) analyser en profondeur les ossements retrouvés à Cléry Saint André.