Jeanne illettrée?
Proposé par Monio, traduction par Erjiem
Dans notre premier texte de Jeanne d’Arc ( la Passion de Jeanne d’Arc, voir sur le site de l’auteur ), nous mentionnions que Jeanne parlait un certain dialecte. Nous allons avancer un peu sur ce point.
Le parler de Domremy
Dans les années 70, un archiviste du Luxembourg, Alain Atten, entreprend la reconstruction du langage parlé à Domremy. Atten collabore avec des linguistes et des historiens pour déterminer quelle langue y était alors usitée au XVe siècle. Il cite souvent le professeur Michel Francard ( Université de Louvain ) qui notait alors une différence sensible entre le patois de Domremy et les dialectes courants dans d’autres parties de la France à cette époque.
Alain Atten
Un enregistrement sur disque fut même créé qui contenait des fragments de phrases de Jeanne dits en patois et en langage reconstruit. Ce disque fut vendu au profit de la Basilique du Bois Chenu, dédiée à Jeanne d’Arc. De nombreux érudits ont exprimé leur gratitude, voire même leur enthousiasme à propos du résultat obtenu. Beaucoup ont ressenti un flot d’émotions à l’écoute de cet enregistrement.
Quant à savoir si, en effet, c’était la langue parlée par Jeanne elle-même, il y a là une controverse considérable. L'attention est souvent attirée sur les différences entre ce dialecte et les déclarations de Jeanne et ses lettres dictées. Ces lettres et les déclarations enregistrées contiennent des phrases et des mots qui ne proviennent pas de ce dialecte, mais sont dans " un français pur ".
Dialecte ou pur français ?
L'hypothèse que Jeanne aurait parlé un dialecte est implicitement contredite par le témoignage d’un membre du clergé qui, sur ordre de Charles VII, interrogea Jeanne à Poitiers. Ce religieux ( Fr. Seguin ) était un professeur de théologie dominicain, Doyen de la Faculté de théologie de Poitiers.
Pendant le procès de réhabilitation de Jeanne, il déclara, entre autres : Je lui demandai quelle langue parlait sa voix. "Une langue meilleure que la vôtre", me répondit-elle. Je parle limousin…
Il est assez peu probable que ce commentaire quelque peu acerbe puisse avoir été fait par une personne qui elle-même aurait parlé un dialecte distinct, clairement différent, selon les scientifiques, des dialectes des autres régions de France.
De plus se pose la question de l’étendue du vocabulaire utilisé par Jeanne, en corrélation avec la question de son niveau général d’éducation et de sophistication :
Une analyse linguistique effectuée á partir des lettres de La Pucelle et des réponses qu’elle fit au procès de Rouen permet de constater que Jeanne possède un vocabulaire très étendu puisé dans les champs sémantiques religieux, militaire, diplomatique et politique son temps. Ce lexique, qui ne peut pas être celui des paysans de Domremy, elle l’utilise avec justesse pour former des phrases à la syntaxe irréprochable. A l’évidence, Jeanne a dû recevoir une solide éducation intellectuelle. Elle parle parfaitement le français de France, et peut-être a-t-elle quelques notions de latin grâce à quoi elle est à l’aise avec n’importe quel interlocuteur.
(Marcel Gay, Roger Senzig. "L'Affaire Jeanne d'Arc" )
D'autre part, il faut considérer le style dans lequel certaines de ses lettres ont été écrites. Par exemple, la première de ses lettres célèbres, dite " lettre aux anglais ", écrite le 22 mars 1429 donne l'impression d’un style " grossièrement taillé ". Mais peut-être l'effet était-il intentionnel et dicté par l’impériosité militaire ?
Que penser encore du cri célèbre à William Glasdale, le commandant des troupes britanniques assiégeant Orleans : " Clasdas, Clasdas, ren-ti, ren-ti au Roi des cieux ! " (" Glasdale, Glasdale, rends-toi, rends-toi au Roi des cieux !"). Le mot « ren-ti », d'origine dialectale, se traduit en bon français par « rends-toi ».
A Sully-sur-Loire, le 16 mars 1430 Jeanne a dicté une lettre aux habitants de Reims. Dans la phrase : " Je vous mandesse anquores auqunes nouvelles de quoy vous series bien joyeux …" le mot « joyeux » apparaissait à l’origine sous la forme « choyeux » et a été corrigé ultérieurement : à l’avant-dernière ligne, le mot « choyeux » est barré d’une croix et le mot « joyeux » a été rajouté, juste au-dessus de la signature.
Pendant le procès à Rouen, le 21 février 1431, elle donne " d'Arc " comme étant le nom de son père, mais la cour dans le compte rendu original l'a enregistré comme " Tarc ".
De ces exemples, quelques auteurs français ( et nous soulignons fortement qu'ils sont français ) concluent que Jeanne pourrait parler le français avec quelques influences de prononciation allemande.
Personnellement, je ne suis pas un analyste de textes. De plus, je ne suis pas un expert dans la langue française, que je ne parle pas. Donc dans mes commentaires je peux seulement refléter les avis d'entre ceux qui s'engagent dans une analyse de textes et sont bien informés dans la langue française et son histoire.
Ma propre conjecture est que Jeanne aurait pu utiliser les deux langages, tantôt le dialecte et l'argot, tantôt la langue des couches plus instruites de la société en France.
Peut-être certains auteurs essayent-ils trop radicalement de justifier l’un ou l’autre des langages dans lequel Jeanne a eu l'habitude de s'exprimer, et échouent car ils ne prennent pas en compte le fait que ceux qui évoluent et se déplacent fréquemment dans des régions linguistiquement mixtes, peuvent parfois emprunter différents modes de conversation. ( En Pologne des cas semblables existent : dans la Silésie Supérieure, même à ce jour, des gens utilisent – à degrés variables - polonais et allemand en plus du dialecte silésien. Parfois ils construisent même une phrase mêlant des éléments des trois langages ).
Il semble évident que l'on n'utilise pas le même vocabulaire en fonction de la personne à qui l'on s'adresse; un langage policé envers le Roi ou des bourgeois, et un discours bien plus abrupt pour haranger des soldats... Pour les lecteurs latinistes, il paraîtra évident que le style de Ciceron n'était point celui de César.
Ces gens peuvent délibérément adapter leur expression selon le public auxquels ils s’adressent, sans qu’ils aient nécessairement un niveau d’instruction très élevé, mais simplement en ayant un vocabulaire riche et en étant un minimum cultivés et policés.
" Ne savoir ni A, ni B " fait-il de Jeanne une illettrée ?
Et ici nous en venons à la dernière question, mais la plus significative, dans cette partie : une telle personne peut-elle être illettrée ? Cela semble particulièrement peu probable, d'autant plus donc si elle peut maîtriser la forme " pure " de sa langue.
Selon la version " officielle ", Jeanne d'Arc était illettrée. Personnellement je ne me sens plus si convaincu par cette version, basée essentiellement sur les deux " arguments-piliers " suivants : Jeanne n'a pas écrit ses lettres elle-même, mais les a dictées et les a seulement signées ; et elle aurait dit, selon un témoignage, qu'elle "ne savait ni A, ni B".
Considérons ainsi le contexte de ce dernier témoignage : c'est celui de Gobert Thibaut, déposé pendant la collecte d’informations pour le procès de réhabilitation de Jeanne. La minute de son témoignage se réfère au moment où Jeanne, à la demande de Charles VII, avait été interrogée par le clergé, des théologiens et des experts :
« Elle était, comme il l’a dit plus haut, hébergée dans la maison dudit Rabateau, ou les susdits Versailles et Erault s’entretinrent avec Jeanne en présence du témoin ; et alors qu’ils parvenaient à cette maison, Jeanne vint au-devant d’eux, et frappe le témoin sur l’épaule, en lui disant qu’elle voudrait bien avoir beaucoup d’hommes de son caractère. Alors ce Versailles dit à Jeanne qu’ils étaient envoyés auprès d’elle par le roi ; elle répondit : " Je crois bien que vous êtes envoyés pour m’interroger ", ajoutant : " Je ne sais ni A ni B " »
Le 16 Mars 1430
Comme on peut le voir, le contexte entier n'a absolument rien à faire avec la lecture ou l'écriture. C'est juste la façon propre de Jeanne pour dire" Je n'en sais rien. "
Sur la lettre aux habitants de Reims, 1429
Rappelons ici la maxime des philosophes grecs qui déclaraient ne connaître ni l'alpha ni l'omega... Doit on en déduire qu'ils étaient analphabètes eux aussi ?
Pour ce qui est de dicter des lettres ( officielles : nous ne parlons pas ici de courrier privé ), beaucoup de personnalités de l'histoire l’ont fait plutôt que les écrire eux-mêmes. Ainsi des rois, ducs et comtes, ainsi Napoléon, les tsars de Russie... Et bien sûr il n’en découle pas qu’ils étaient illettrés... Mais une observation plus attentive de la lettre de Jeanne du 16 mars 1430, présentée ci-dessus, lève des doutes quant à savoir si elle aurait pu l’écrire elle-même : notez la signature de Jeanne au bas de la lettre et l'expression " Jehanne la Pucelle " à la première ligne. Le nom " Jehanne " semble dans les deux cas avoir été écrit par la même main...
Lettre aux habitants de Reims, 16 Mars 1430
A ce propos, notre attirons aussi l’attention sur le fait mentionné par Thibaut que Jeanne le " frappe " sur son épaule. Après tout cela doit avoir semblé curieux au XVe siècle qu’une « simple paysanne », « bergère illettrée », tapote amicalement l’épaule d'un propriétaire terrien au service du roi...
Franchement, nous n'avons pas le moindre début de preuve que Jeanne ait été illettrée, en effet, ni même qu’elle l’ait jamais laissé entendre à ses contemporains. Sa signature seule, qui apparaît sur certaines de ses lettres ( une signature, qui a mené quelques experts d'écriture à la conclusion qu'elle était... gauchère ) ne permet pas de trancher. Après tout, même une personne illettrée peut apprendre à apposer une signature consistant en quelques lettres. A contrario cela ne conforterait pas la thèse de l’analphabétisme de qui que ce soit.
Le 12 mars 1431, pendant un interrogatoire, l'échange suivant a lieu entre Jeanne et son interrogateur Maitre Jean de Lafontaine :
Interrogée si elle croyait bien faire de partir sans le congé de père et mère, puisqu’on doit honorer père et mère, répondit qu’en toutes autres choses elle leur a bien obéi, excepté en ce départ ; mais depuis leur en a écrit et ils lui ont pardonné.
Était-ce simplement une figure de rhétorique utilisée au lieu de « je leur ai dicté une lettre » ? Peut-être. Mais comment le prouver ? Cela conforte plutôt l'idée que Jeanne a écrit à ses parents de sa propre main. En tout cas, cela confirme ce que nous avons écrit précédemment : cette Jeanne n'a jamais laissé entendre à qui que ce soit qu'elle était illettrée.
Notre attention a été attirée par un article néerlandais consacré aux lettres de Jeanne d'Arc (dont nous discuterons séparément). Nous le recommandons à quiconque s’intéresse à l'histoire de Jeanne, car il contient peut-être les meilleurs arguments avancés par un groupe d'auteurs, que nous appellerons les « illettristes » ( à l’instar des « bâtardisants » et des « survivistes » ).
Les auteurs de cet article ont peut-être trop tendance à supposer à l'avance que l'analphabétisme de Jeanne est établi au-delà de n'importe quel doute raisonnable. Un exemple en est la façon qu'ils interprètent le fait que Jeanne a signé son " abjuration " célèbre d'une croix, au cimetière de St Ouen (le 24 mai 1431). Cependant, Jeanne avait déjà clarifié cette question plus tôt (le 1er mars 1431) au cours d’un échange avec ses juges sur sa manière de signer ses lettres, à savoir si c'était sa coutume de placer les mots " JHESVS MARIA " avec une croix sur ses lettres :
…repondit que les mettait dans certaines, et parfois pas. Quelquefois mettait une croix afin que celuit de son parti à qui elle écrivait ne fit pas ce qu’elle écrivait.
Donc la tentative néerlandaise ne mène nulle part. Et désormais il transparaît qu’au débat de l'analphabétisme de Jeanne s’ajoute un point supplémentaire : Jeanne, après avoir signé son " abjuration " d’une croix à St Ouen, a-t-elle éclaté de rire ou a-t-elle seulement souri largement... ?
Concernant l'abjuration de St Ouen, rappelons néanmoins un fait qui a échappé à la plupart des " historiens ".... Lors de cette séquence, Jeanne sera tondue ! Et néanmoins, quelques jours plus tard, on va la décrire s'arrachant les cheveux par poignées dans sa cellule...
Notre question est donc : Laquelle était la vraie Jeanne, celle de St Ouen ou la prisonnière de Rouen ?
Dans l'ensemble, il y a une faiblesse générale dans l'argumentation de ces auteurs néerlandais : au lieu de chercher à connaître le sens des sources, ils présupposent qu'on le connaît déjà et analysent partialement les documents ponctuellement au crible de ce présupposé, en essayant de dévoyer des points de vue différents.
Pour ce qui nous concerne nous pouvons dire que notre propre approche est complètement différente. Quand nous avons écrit « la Passion de Jeanne d'Arc » il y a 8 ans - et même encore il y a quelques mois - nous avons présenté, en principe sans réserve, la thèse de l'analphabétisme de l'héroïne , étant alors sous l'influence de l'histoire officielle de sa vie. Et même en écrivant la première partie de ce texte, après que notre avis s'était déjà développé, nous avons indiqué simplement que « nous ne nous sentions plus si convaincus de cette version. »
C'était il y a à peine quelques semaines.
Aujourd’hui nous avons abandonné complètement cette thèse, bien que la version opposée exige toujours une preuve. Mais notre « changement de position » est basé seulement sur des rapports existants. Nous n'avons jamais eu de préjugés et nos conclusions sont le résultat du principe de probabilité auquel nous reviendrons plus tard. Nous ne nions pas que c'est précisément le site néerlandais, qui défend « la version officielle », qui nous a certainement aidés à prendre une position qui n’était même pas à l’ordre du jour il y a encore quelques semaines.
Les auteurs relèvent qu'un certain nombre des lettres de Jeanne ont des types d'introductions et de fins qu’on retrouve sur d’autres lettres de la chancellerie royale. De ce fait ils concluent que Jeanne ne les a pas écrites ou dictées, mais un fonctionnaire royal, ou peut-être le confesseur de Jeanne, le Frère Jean Pasquerel au moins dans une certaine mesure. Ils semblent même suggérer que ce dernier puisse avoir signé ces lettres.
La seule chose que cette conclusion pourrait « prouver » est que tous les rois de France étaient apparemment illettrés, puisque leurs propres lettres sont remplies de telles introductions et fins...
Une autre thèse suggérant que les secrétaires du roi écrivaient des « modèles » de signatures de Jeanne qui n’avait plus qu’à les recopier en imitant l’écriture des scribes, est encore plus étonnante parce elle montre que les lettres ont été écrites dans des écritures diverses, donc par différentes personnes. Mais les signatures sont toujours de la même écriture, indiquant que leur auteur était toujours la même personne.
Les auteurs examinent aussi la formulation du latin « mulier illitterata et ignorans scripturas » - cet avis de Cauchon rapporté dans le texte latin des minutes du procès de Rouen 18 avril 1431. Le latin « illiteratus » (« illetterata » au féminin) indique simplement une personne sans instruction. Le passage cité, dans la version française, est traduit par " mais comme cette femme était illettrée et ignorait l'écriture " (« écriture » faisant référence à la Bible dans la source latine: scripturas = « les écritures »).
Réexaminons donc ce passage. Pour savoir à quoi il se réfère, le mieux est de le citer dans son contexte entier. Le 18 avril et le 2 mai 1431, après que Jeanne a répondu aux points ultérieurs de l'acte d'accusation, les juges ont conduit une série " d'exhortations charitables " avec elle. Le mercredi 18 avril, en présence de sept " docteurs et maîtres " de théologie et de droit canon, l'Évêque Pierre Cauchon s'est tourné vers Jeanne :
…En leur présence, nous, évêque susdit, parlâmes à cette Jeanne, qui se disait alors malade ; et nous lui dîmes que les susnommés maîtres et docteurs venaient vers elle, en toute familiarité et charité la visiter en sa maladie, pour la consoler et réconforter. Ensuite nous lui rappelâmes comment, durant tant de jours, en présence de nombreuses personnes scientifiques, elle avait été interrogée sur de grandes et ardues questions touchant la foi ; sur quoi elle avait donné réponses diverses et variées. Or ces personnes scientifiques et lettrées, les considérant et les examinant avec diligence, avaient noté que plusieurs de ses dires et aveux étaient périlleux pour la foi : mais comme cette femme était illettrée et ignorait les écritures, nous lui offrîmes de lui fournir des personnes doctes et scientifiques, approuvées et bienveillantes, qui l’instruiraient dûment. Et nous exhortâmes les docteurs et maîtres ici présents, conformant au devoir de fidélité qui les liait à la vraie doctrine de la foi, de prêter salutaire conseil à cette Jeanne, pour le salut son âme et son corps. Si Jeanne en connaissait d’autres, aptes à ce faire, nous lui offrîmes de les lui bailler, afin qu’ils lui prêtassent conseil et l’instruisissent de ce qu’elle aurait à faire, à maintenir et à croire.
Comme on peut le constater, il ne s’agissait pas de savoir si Jeanne savait lire et écrire ou pas, mais si - de l'avis de l'évêque - elle n'avait pas été correctement instruite dans le mystère de la foi catholique... Est-il est possible de conclure de ce contexte que Jeanne était illettrée ? En toute logique oui, sans qu’il soit possible de l’affirmer avec certitude, ce qui signifie que le débat reste ouvert.
Le 27 février 1431, Jeanne raconte à ses juges comment l'épée de Ste Catherine a été trouvée à Fierbois :
Et écrivit aux gens d’église de ce lieu que ce fut leur bon plaisir qu’elle eut cette épée ; et ils la lui envoyèrent. Elle n’était pas beaucoup en terre, derrière l’autel, comme il lui semble ; cependant ne sait au juste si elle était devant l’autel ou derrière : mais croit qu’elle a écrit que ladite épée était derrière l’autel.
S'il peut rester un doute quant à la référence de « écrivit » à « écrire soi-même » ou bien « dicter », analysons un autre enregistrement du procès à Rouen, celui du 24 février 1431. Jeanne refusa à plusieurs reprises de répondre à certaines des questions posées. À d'autres occasions, elle demanda simplement le temps pour considérer ces questions. Et ce 24 février, elle exprime une requête surprenante :
Item demanda qu’on lui baillât en écrit les points sur lesquels elle ne répondait point présentement.
De toute évidence elle voulait avoir le temps de réfléchir aux questions. Pourquoi un illettré insisterait pour obtenir quoi que ce soit par écrit ? et particulièrement en prison, sans aucun secrétaire royal ni même un Frère Pasquerel qui, comme certains l’avancent, écrivait pour Jeanne et signait même ses lettres pour elle ?
Il existe des mentions de Jeanne et sa façon de parler – ainsi que de son éducation – laissées par des gens qui ont entendu parler d'elle ou la connaissaient personnellement.
Jacques Philippe Foresti de Bergame (1434 - 1520, qui donc n'aurait pas connu Jeanne...), dans son traité « de claris mulieribus » (« Sur des femmes célèbres »), a écrit de Jeanne :
Son langage avait de la douceur, comme celui des femmes de son pays. (…) Son sens était si droit, si juste, qu’il semblait que sa vie s’était passée et qu’elle avait été élevée à l’école de la plus haute sagesse et de grande prudence.
Giovanni Sabadino degli Arienti (1445-1510) s’exprime de manière similaire :
Sa parole était douce, son sens aussi exquis que si, au lieu d’avoir vécu à la suite des troupeaux, elle eût été élevée dans meilleure école de prudhommie et de bonnes moeurs.
Il est vrai que ni Foresti ni Arienti n'ont pu connaître Jeanne personnellement (du moins selon la version officielle)... Ainsi en opposition, relevons les termes d’un contemporain de Jeanne qui avait eu l'occasion de la rencontrer au moins une fois. Le frère Jean Toutmouillé, un dominicain, interrogé le 5 mars 1449 ( pendant la première enquête du processus de réhabilitation ), a indiqué que Jeanne, le matin du 30 mai 1431, alors toujours en prison dans le château Bouvreuil à Rouen, s'est plainte du jugement communiqué à elle :
Hélas ! Me traite-l’en ainsi horriblement et cruellement qu’il faille ( que ) mon cors net en entier, qui ne fut jamais corrompu, soi aujourd’hui consumé et rendu en cendres ! Ha ! Ha ! j’aimeroie mieulx estre descapitée sept fois, que d’estre ainsi bruslée. Hélas ! se j’eusse esté en la prison ecclesiastique a laquelle je m’estoie submise, et que j’eusse esté gardée par les gens d’Eglise, non pas par mes ennemys et adversaires, il ne me fust pas si miserablément mescheu, comme il est. O ! j’en apelle devant Dieu, le grant juge, des grans torts et ingravances qu on me fait.
Notez que la citation ci-dessus n'est pas un extrait d'opéra ni une tirade de théâtre, mais - au moins formellement – un témoignage rapporté ( sous serment! ) par un dominicain pour un procès. Ainsi, à supposer que le frère Jean n'a pas embelli ou dramatisé sa citation, cela signifie que Jeanne a vraiment gardé sa maîtrise de soi même à un tel moment de gravité et a répondu comme un élève de cours dramatique...
Quoi que nous pensions de cette citation, elle ne ressemble certainement pas aux mots d'une simple paysanne illettrée, qui « ne sait ni A ni B »... Et il faudrait admettre qu’une telle personne, après des années de contacts avec la cour royale, l'aristocratie et les érudits de son temps, pouvait avoir des problèmes pour mémoriser quelques " introductions " et " fins " dans sa correspondance ! a-t-on vraiment de tels problèmes lorsqu’on est constamment forcé de correspondre ?
Après tout, ces 24 lettres ne sont pas les seuls exemples de la communication à distance de Jeanne. À son procès en 1431 elle parle " d'écrire " des lettres comme si c'était presque son expérience quotidienne et usuelle. Et menant des campagnes militaires, elle a certainement écrit autre chose que des lettres. Des messagers étaient constamment engagés dans les guerres pour transporter des messages écrits même courts (des messages verbaux aussi ...). Ainsi la probabilité est grande pour que des ordres courts puissent avoir été facilement mémorisés par Jeanne.
Tout le monde est capable de mémoriser plus que de tels exemples simples, nous en avons des preuves suffisantes. L'acteur polonais Wojciech Pszoniak a commencé sa carrière, dans les années 70, dans des films français ( il était Robespierre dans le film célèbre « Danton » ) sans même connaître le français, mais en apprenant ses rôles par cœur. Le fait qu'un acteur puisse retenir des rôles entiers n'est pas incongru, et nous devrions douter qu’une jeune femme énergique et dynamique, plus intelligente que la moyenne, ne puisse maîtriser quelques lignes de texte... ? Cela semble ridicule.
Voici une petite digression : quiconque peut maîtriser quelques lignes, pratiquement cesse d'être illettré. Parce qu'au-delà de quelques lignes, il est facile de continuer d'en apprendre d’autres. Ce n'est ni plus ni moins que le processus de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture…
En conclusion
Le titre même de notre série " les Mystères de la vie de Jeanne d'Arc " ( Monio est le webmestre d'un site polonais qui publie régulièrement des articles sur Jeanne la Pucelle ) suggère déjà que nous soyons concernés par ces questions que l'on n'a pas encore entièrement expliquées. Parce qu'autrement il n’y aurait plus de mystères...
Mystère ou pas, les études existantes pourront inciter tout un chacun à se forger sa propre opinion. Mais même si le courant actuel de la « secte des illettristes » est le plus important, nous ne doutons pas que leur nombre diminuera rapidement au fil du temps.
Un ami anglais nous informe !
La célèbre salle des ventes londonienne, Sotheby, a adjugé en Juillet 2009 à un acquéreur avisé, un manuscrit illustré de 3 enluminures provenant des collections d'Eric Korner, pour plus d'un million de Livres...
La première de ces enluminures dues à l'artiste alsacien Diebold Lauber (son atelier se situait à Haguenau), représente Sigismond de Luxembourg, Empereur du Saint Empire Romain Germanique, qui a vécu de 1368 à 1437, et se trouve donc être contemporain de la Pucelle...
L'empereur envoie un messager portant un pli cacheté à une femme richement vêtue, que le manuscrit désigne comme "la Pucelle qui a accompli de nombreux miracles"
Et dans l'image suivante, c'est Jeanne, désignée comme la Pucelle d'Orléans, qui à son tour envoie un messager à l'Empereur.
Jeanne, l'illettrée qui correspond avec le dirigeant de l'Empire Romain Germanique...
On peut s'interroger sur le rôle de la Maison de Luxembourg dans la saga qui nous préoccupe...
En effet, on sait qu'Isabelle Romée est éduquée dans le Château de Ligny en Barrois, possession de la famille de Luxembourg,
Jeanne bien avant son épopée officielle correspond avec Sigismond de Luxembourg...
Elle est capturée à Compiègne par Jean de Luxembourg,
Elle devient la Dame des Armoises à Arlon, ville où réside Elisabeth de Görlitz, dame de Luxembourg, nièce de l'Empereur Sigismond 1er...