Mensonge d'état
Sylvain Post, 2012
Une vie après le bûcher ?
1er Mai.
Les syndicats défilent pour la fête du Travail, l’extrême-droite organise sa propre marche en hommage à Jeanne d'Arc.
L’occasion de rappeler que l’histoire de la « Pucelle d’Orléans », cristallisant au XIXe siècle une quête idéologique et politique, a été construite pour ancrer l’identité française dans les esprits...
Loin de la réalité, l’œuvre du peintre romantique allemand Hermann Anton Stilke (1843)
Personne ne nie la bravoure de cette figure-clé de la Guerre de Cent ans, symbole de la défense de la Nation.
Mais certains auteurs prennent leurs distances avec la thèse officielle et soutiennent que la petite bergère de Domrémy, " de sang noble ", n’aurait pas été brûlée vive à Rouen.
Relecture.
Les « voix » de Jeanne d’Arc défient l’entendement. Qui peut y croire aujourd'hui ? Comment une jeune bergère a-t-elle pu approcher le roi afin de le convaincre de lui confier une armée pour battre les Anglais ?
Comment a-t-elle appris à parler le français de la cour, à monter à cheval, porter l'armure, mener une armée et délivrer ainsi Orléans, Auxerre, Troyes avant d'être capturée et livrée aux Anglais ?
Dans le chapitre “Visions et artifices : Jeanne d’Arc ” de son livre « La France au vitriol » (Publibook, 2003), Christian Borromée jette avec talent un regard décapant sur l’épopée johannique.
Avant d’aller au cœur du sujet, il invite le lecteur à se pencher sur les enchevêtrements historiques et les guerres qui ont opposé les dynasties de France et d’Angleterre.
Passage obligé :
Les accrochages, puis le désastre provoqués par la succession de Philippe le Bel, roi de France de 1285 à 1314.
Avant que Jeanne d’Arc n’entre en lice.
L’aîné des enfants de Philippe le Bel est une fille : Isabelle, qui a épousé en 1309, le roi d’Angleterre. Ils ont un fils, le futur Édouard III.
Vient ensuite un frère cadet d’Isabelle : Philippe.
Se met aussi sur les rangs pour la couronne de France, Philippe, comte d’Évreux, qui a épousé la fille aînée de Louis X.
Le cadet de Philippe le Bel va invoquer la loi salique.
« Par une interprétation forcée sur l’exclusion des femmes, Philippe obtient d’une assemblée de pairs et des grands barons d’être choisi comme roi. Le nouveau roi cède la Navarre au comte d’Évreux, qui en devient roi et n’émettra plus de prétention au trône de France ».
Le trône pouvait revenir à Isabelle, l’aînée, ou à son fils Édouard III.
« Le fait que Philippe devienne roi représente une usurpation couverte par un montage juridique… digne du XXe siècle »
ironise Christian Borromée.
Isabelle et Édouard paraissent s’incliner et Édouard III prête hommage au nouveau roi de France pour le duché de Guyenne.
Toutefois, après quelques années de paix, Édouard III met en avant ses prétentions au trône de France.
Ce sera le début de la Guerre de Cent ans, " non pas entre la France et l’Angleterre ", souligne Christian Borromée dans son livre, " mais entre dynasties qui possèdent les trônes de France et d’Angleterre. Ce n’est pas une guerre des peuples. C’est une guerre des rois ".
Bataille de Crécy, prise de Calais, démembrement de la Bourgogne…
Avant Jeanne... Brigitte !
Arrive alors Jeanne d’Arc ?
Pas tout de suite. Patience !
D’abord Brigitte de Suède…
Elle a des visions, entend des voix (tiens, tiens !).
« Pour que les deux royaumes obtiennent la justice, je veux qu’ils fassent la paix par un mariage et que le royaume appartienne ensuite au légitime héritier qui montera sur le trône ».
Qui parle ainsi ?
« C’est, d’après le Chapitre 105 du 4e livre des Révélations de Brigitte de Suède, le Fils de Dieu, le Christ »
répond Christian Borromée.
« Le Christ ordonne aux rois de France et d’Angleterre de s’allier, de répandre la foi chrétienne, de mettre un terme à leurs exactions intolérables et de faire le bonheur de leurs sujets ».
Les instructions du Christ resteront lettre morte.
La folie de Charles V mènera la chrétienté à plus de quarante ans de schisme et d’affrontements.
D’autres “visions ” prennent le relais de cet échec.
« On dit que Jeanne d’Arc prétend que ses voix lui demandent de “chasser” les Anglais, c’est-à-dire de recommencer la guerre que le faible Charles VII abandonnerait volontiers. Ce que Jeanne prétend avoir entendu du Ciel prend l’exact contre-pied de la paix voulue par le Christ, dans les Révélations de Brigitte de Suède »
observe l’auteur de « La France au vitriol ».
Le Vatican canonisera très vite Brigitte (aujourd’hui sainte patronne de l’Europe), en 1391.
Quant à Jeanne d’Arc, elle le sera bien plus tard – en 1920 – avec des réticences.
Les “voix ” de Jeanne sont en opposition formelle avec les “révélations ” de Brigitte.
La “Cour céleste ” peut-elle faire un tel virage sur l’aile ?
« Si à l’intérieur de l’Église, on estime que c’est impossible, il faut conclure avec logique, estime Christian Borromée, que l’une des séries de visions est un faux » !
Le théologien Gerson, grand intellectuel et haut-fonctionnaire en son temps, a la position acrobatique des “officiels ” français.
Borromée résume les propos de Gerson :
« Les révélations de Brigitte sont fausses et diaboliques, les visions et les voix de Jeanne véridiques ».
Et d’ajouter :
« Il n’y a que Paris qui puisse croire à une telle pantalonnade ! ».
Si l’on rejette l’une, pourquoi pas l’autre ?
Coup d’État:
« Il fut nécessaire, sous Charles VII, d’avoir recours à quelque coup d’État pour chasser [ les Anglais de France ] : ce fut donc à celui de Jeanne la Pucelle, lequel est avoué pour tel par Juste Lipse en ses Politiques, & par quelques autres historiens étrangers, mais particulièrement par deux des nôtres, du Bellay Langey en son Art militaire & du Haillan en son Histoire.-»
De qui sont ces propos ? De Gabriel Naudé, bibliothécaire du cardinal Mazarin, dans ses «Considérations politiques sur les coups d’État» (Elzevier 1639, p. 154), cité par Borromée.
« Ce fut par un artifice politique que Jeanne d’Arc fût présentée au roi Charles VII… L’entourage du roi se concerta avec le bâtard d’Orléans pour sortir le roi de sa léthargie ».
Ainsi pensait l’historien Duclos, de l’Académie des Inscriptions et des Belles Lettres, en 1745.
Le XIXe siècle romancera la vie de Jeanne d’Arc : fille d'humbles paysans de Lorraine… Saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite, pendant trois ans lui demandent de libérer la France et de faire sacrer le roi à Reims… On n’a pas à puiser très loin dans les manuels de l’école de la République pour trouver la suite.
« On pense aujourd’hui que Jeanne est la fille d’une personne de sang princier, voire royal, avec Isabeau de Bavière comme mère et, autre hypothèse, Louis d’Orléans pour père. Charles VII reçoit Jeanne avec tous les honneurs et accepte de reprendre la guerre, avec celle qui est peut-être sa demi-sœur ».
Malgré les précautions de langage, la conclusion de Christian Borromée est nette.
Selon lui, c’est dans ce contexte que : « le roi se laisse convaincre qu’il peut encore combattre, s’il met le ciel avec lui, sous la bannière de Jeanne ».
Les auteurs sont nombreux à relever qu’au cours du procès, Jeanne d’Arc, seule, sans appuis, sans conseil, sans aide, répond à ses juges avec une pertinence rare (« Passez outre, Monseigneur. Passez outre ! »).
On conçoit mieux ses réponses si elles sont soutenues par son rang. Même si elle doit le garder secret.
C’est encore l’avis de Borromée.
« Après son apothéose du XXe siècle, dit-il, Péguy voue un culte à Jeanne d’Arc. D’autres mains s’empareront d’elle et elle échappera à l’Église. Vichy en fera une idole anti-anglaise et fera publier un De Jeanne d’Arc à Philippe Pétain ».
Aujourd’hui, Jeanne d’Arc est l’égérie du Front National, et le 600e anniversaire de sa naissance « officielle » a conduit le Président-pas-encore-candidat-déclaré à sa succession, Nicolas Sarkozy, à se rendre à Domrémy, le 6 janvier 2012.
C’est un fait que la Pucelle d’Orléans a pu être tour à tour, au gré des époques et selon les pays, le symbole de la royauté, de la nation, de la résistance ou du féminisme.
Le symbole a été alternativement de droite et de gauche.
Mais deux mots encore au sujet du procès de Jeanne. Gabriel Naudé, le bibliothécaire de Mazarin écrira ceci :
« Or ce coup d’État ayant si heureusement réussi, que chacun sait, & la Pucelle n’ayant été brûlée qu’en effigie…».
Borromée conclut :
« On ne brûle pas la fille du duc d’Orléans, sœur utérine de Catherine de Valois, reine d’Angleterre et de Charles VII, roi de France. La dernière pièce du puzzle est en place. Est-il authentique ?-»
La formule est prudente.
Elle a cependant instillé le doute dans mon esprit : et si Jeanne d’Arc n’avait pas été brûlée vive à Rouen ?
Quelques jours après avoir rencontré Christian Borromée (auteur, mais aussi diplômé d’HEC, ancien directeur de l’audit interne de Pechiney), j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec un membre éminent de l’archevêché de Reims, ville des Sacres des rois de France.
À la question « Quelle est la couleur liturgique choisie par l’Église catholique pour célébrer la sainte Jeanne d’Arc, le 30 mai ? » la réponse me laissa sans voix : « Le blanc ».
Et non pas le rouge, réservé aux martyrs.
Jeanne d’Arc martyr…
Cliché de l’histoire (officielle) de France ?
Le mythe revisité !
Depuis des générations, les manuels scolaires chantent la légende de Jeanne d’Arc qui servira la cause de tous les nationalismes.
Borromée n’est pas le seul à revisiter le mythe. D’autres s’éloignent aussi de la version que l’État fait enseigner par le truchement de l’Éducation nationale.
Marcel Gay, grand reporter à L’Est Républicain, spécialiste des procès d’assises, et Roger Senzig, un spécialiste du sujet, publient en 2007, un livre intitulé « L’Affaire Jeanne d’Arc. Révélations sur l’un des plus grands secrets de l’Histoire » (Florent Massot, 2007).
Leur enquête a permis d’aboutir à un faisceau d’indices.
Pas de preuves absolues.
Marcel Gay rappelle, au préalable, que toute une frange d’historiens prétend que la petite bergère vosgienne serait la fille de Louis d’Orléans et d’Isabeau de Bavière.
En consultant l’historiographie de la cour, à Saint-Denis, « on s’aperçoit, déclare-t-il dans L’Est Magazine, qu’il y a eu une manipulation a posteriori comme si on avait voulu masquer des éléments d’une naissance. Des pages ont disparu. Pour moi, Jeanne est née le 10 novembre 1407 à l’hôtel Barbette de Paris ». Quant au procès de Rouen : Jeanne d’Arc a-t-elle péri sur le bûcher ? « Évidemment non ».
« Marcel Gay ne croit guère aux minutes du procès qu’il dénonce comme une manipulation » écrit L’Est Magazine, le 9 septembre 2007.
« Tout a été fait pour que la victime soit cachée. Il y avait 800 soldats. Le bûcher était tellement haut que le bourreau n’a pas pu garrotter la femme exécutée. Son visage était « embronché », c’est-à-dire caché et voilé. Son corps fut enduit de poix, de soufre et de charbon. Elle ne devait pas ressembler à grand-chose ».
Le Nancéien Michel Parisse, médiéviste réputé et ancien professeur de La Sorbonne est invité par le même journal, à exprimer son point de vue.
« C’est une vieille affaire qui a déjà été discutée 20 000 fois, une hypothèse qui n’est pas totalement satisfaisante. Pour moi, dit-il, le plus simple est de rester fidèle à la légende et de s’appuyer sur les sources historiques connues. Jeanne d’Arc, le dernier livre de Colette Beaune, qui s’imprègne du contexte de l’époque, me semble le plus assuré. Mais bon, les historiens peuvent discuter des siècles, ils ne se mettront jamais d’accord. Comme pour toutes les grandes énigmes… »
À cela s’ajoute une forte défiance à l'égard du pouvoir central, qui est dans l’air du temps. Une défiance qui peut contribuer à relancer les théories "bâtardisantes" et "survivistes", comme disent les initiés.
En Lorraine, estime Michel Parisse, le plus grand avocat de Jeanne d’Arc est François Heller qui défend également la thèse selon laquelle il y a eu une seconde vie après le bûcher et que le château de Jaulny, au nord de Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle) aurait accueilli une Jehanne des Armoises, ex-Pucelle, qui changea de nom en prenant époux.
Quel crédit accorder à cette hypothèse ? « C’est un fait attesté par un écrit produit au XVIIIe siècle par le révérend père Dom Calmet » écrit Philippe Marcacci, journaliste à L’Est Républicain. Il s’agit d’un acte de vente d’une partie de la propriété du couple des Armoises, daté de 1436, où l’on peut lire : « Nous, Robert des Hermoises, seigneur de Tichémont et Jeanne du Lix, [Ndla : Jeanne du Lys ?] la Pucelle de France, dame dudit Tichémont ».
Au château de Jaulny, deux médaillons représentant le seigneur des Armoises et son épouse (le portrait de Jeanne ?) ont été découverts en 1871. L’endroit, présenté sur place comme la dernière demeure de Jeanne d’Arc, possède musée et chambres d’hôtes…
Quant à la République, elle envisage de mettre en chantier une « Maison de l'Histoire de France » qui provoque déjà des remous.
Bon courage, face aux briseurs de mythes !
En tout cas, ses promoteurs seraient bien inspirés de faire la recension des six cents pages livrées sous le titre « Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises », (Fayard, 2010) par François Reynaert, journaliste au Nouvel Observateur, passionné d’histoire.
Je prends la responsabilité d’une citation supplémentaire :
«Nous avons tous appris que Clovis était le premier roi de France. En Allemagne, pourtant, il est considéré comme un roi allemand. De Saint Louis, on garde l'image du souverain rendant la justice sous son chêne. On ignore qu'il imposa aux Juifs de porter l'équivalent de l'étoile jaune», écrit François Reynaert.
Et si Jeanne d'Arc n’était pas apparue dans le paysage de la France pour appuyer le roi Charles VII et sa prise de pouvoir réelle, que serait-il advenu ?
Une union des deux royaumes français et anglais était concevable, avec à sa tête le seul fils du roi d'Angleterre Henri V et de Catherine de Valois, la fille du roi de France.
« En quoi l'union de ces deux royaumes aurait-elle été une catastrophe ? s’interroge François Reynaert. L'histoire aurait été autre, voilà tout, mais où est le drame ? »
Les grandes questions naissent des grands mystères.
Sylvain Post journaliste honoraire & auteur
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