À table !
OU, DE LA NOURRITURE AU MOYEN ÂGE...
Article proposé par DaSi
Que sait-on de la nourriture humaine dans ces temps dont nos livres d’histoire ne donnent souvent qu’un aspect circonscrit aux classes dirigeantes ?
Les représentations picturales sont-elles plus à même de nous informer à ce sujet ?
Mauvais choix : la peinture de cette époque est essentiellement religieuse et n’apporte pas une documentation de poids sur le sujet. D’autant que la mention "moyen âge" couvre une période très longue (plus de mille ans) et que toute documentation ne peut englober l’ensemble de la période, ni couvrir les aspects régionaux, multiples et variés (cette variété est encore de mise de nos jours, malgré une uniformisation rampante que chacun peut identifier).
Il y a bien sûr, une abondante littérature concernant le sujet. La consultation d’Internet est instructive, parfois surabondante.
Les recettes données sont "actualisées", on y parle de décilitres, de centimètres et même, oh anachronisme, de dinde ! On fait fi, bien sûr, des ressources locales en donnant des ingrédients qui ne se trouvent que dans des contrées fort restreintes.
Le choix fait ici est de s’en tenir à une investigation limitée aux indices repérables dans des ouvrages à portée de main : livres d’histoire, vies de personnages … Pour les siècles suivants, la consultation des écrits de Rabelais aurait été davantage fructueuse …
Cela étant posé, en quoi l’étude, même fragmentaire, de la nourriture au moyen âge permet-elle de se faire une idée du quotidien des gens de cette époque ? Il serait raisonnable de limiter l’investigation dans le siècle proche de la fin de cette époque, afin de sonder l’histoire au temps de la Pucelle d’Orléans …
Pour ce faire, à l’aide de "coups de projecteurs" et en employant une sorte de démarche archéologique, une mise en perspective critique des rares indices à disposition orientera la recherche vers une théorie plus ou moins vérifiable, plus ou moins ancrée sur le réel.
La consultation de la revue GEOHISTOIRE N° 10 d’août et septembre 2013 apporte d’incontestables éclairages sous un format aisément accessible.
Ce n’est pas la seule.
Un inventaire à la Prévert peut mener à une approche de ce que le "peuple" mangeait au Moyen Âge. Des légumes d’abord tels que les racines (carottes, navets, betteraves, salsifis), les féculents (pois, haricots, fèves), et les légumes verts (choux, salades, bettes, cardons, épinards). Chez les moins fortunés, on consomme aussi beaucoup de petit épeautre. Ce blé se mange en bouillie, surtout chez les pauvres gens. Progressivement, l’épeautre se verra remplacé par du blé, plus digeste.
Ces produits connaissent une forme de sélection "sociale". Ainsi, tout ce qui pousse à ras de terre était destiné aux classes inférieures, signale la revue citée plus haut.
Les bourgeois des villes, qui veulent se hausser du col et s’aligner sur l’aristocratie, ne jurent que par les plantes poussant en hauteur (vers le ciel) ainsi que par la viande, même s’ils ne pouvaient prétendre à la dégustation des produits de la vénerie ou de la fauconnerie. Ils ont aussi des "dégoûts" lorsqu’ils évoquent, loin des campagnes qui ont vu naître leurs ancêtres, toutes sortes de produits "effrayants" ! C’est le cas par exemple de l’ortie ! Ils ignorent vraisemblablement que lorsque les habitants des campagnes parlent de manger de l’ortie (en soupe, ou en mélange avec d’autre mets, ou avec les fromages), il ne s’agit pas de l’ortie irritante par son acide formique, mais de l’ortie blanche (Lamium album) aux nombreuses vertus.
Loin d’être un sujet d’opprobre, parmi ses noms, à la campagne elle porte celui d’ "archangélique" !
Les soupes et bouillies semblent tenir la meilleure place dans les menus quotidiens. Un inventaire des "outils" ou instruments propres à la cuisine montre des grills, des couteaux, des piques à deux dents pour manier les morceaux de viande à rôtir, des vases propres à verser de la sauce lors de la cuisson à la broche … La présence de ces objets n’est pas fortuite, elle manifeste la variété des préparations culinaires, au-delà des descriptions souvent compassionnelles, propres à éveiller de la pitié chez le lecteur (et, par là même, permettre une réflexion sur les temps présents, pas si délétères que cela à tout prendre). Le cas du pain mangé par Jeanne entre, ce me semble, dans ce cadre là....
Dès les XIVe et XVe siècles, la consommation de viande se démocratise. Des bouchers font leur apparition dans les villes. À la campagne, chacun pouvait plus que vraisemblablement manger de la viande en abattant volailles, cochons et autres viandes produites par tout un chacun … comme cela a perduré jusqu’au milieu de XXe siècle.
Dans son Histoire de notre Lorraine paru en 1973, Jean Vartier, à la page 376, écrit, parlant de Jeanne de Domremy :
"Je présume qu’on y confectionne la soupe au lard selon une recette déjà en vigueur au temps de la fileuse inspirée …"
Le pain a une place à part. On avance que, pour une grande proportion de la population, il constituait la base de l’alimentation. C’est sans doute pour cette raison que Renée Bergerie, une illustre inconnue, a pu écrire durant la Deuxième Guerre mondiale, un ouvrage intitulé Jeanne d’Arc.
Ouvrage édifiant à l’usage de la jeunesse semble-t-il (qui a reçu l’autorisation 8080 de la part de la censure) :
Tout à l’heure encore, elle a vu passer deux enfants, deux gamins qui descendaient tout seuls par les sentiers, là-bas, derrière la haie. Le plus grand traînait l’autre. Ils pleuraient, ils criaient : "J’ai faim, j’ai faim..." Elle gardait ses moutons, là-haut, au bout du chemin et leurs cris lui broyaient le cœur, alors elle les a appelés et leur a donné tout son pain, son manger de midi et de quatre heures. Ils se sont jetés dessus comme des bêtes […]
Voilà qui peut tirer des larmes pleines d’émotion.
Toutefois, il est à espérer que Jeanne n’avait pas chaque jour que ce "menu".
Qu’en aurait-il été de son développement physique et intellectuel ? Plus sérieusement, quel que soit le statut paternel, il est peu vraisemblable que la table familiale ait été si pauvre. En dehors du passage de la soldatesque et des années de mauvaises récoltes, tout un chacun cultivait peu ou prou un lopin de terre, élevait quelques volailles, un cochon sans doute. Certains écrits parlent d’une Jeanne conduisant les vaches de son père à la pâture … Du lait, des œufs, parfois une poule, de la viande aussi.
Sans que toutefois il y ait de quoi faire bombance ! Certes. La frugalité est de rigueur dans le peuple.
Cependant, on peut se rassurer car, dans le même ouvrage, Jeanne promet des "lunes", sorte de petits pâtés renommés dans le pays, au sonneur de cloches du village … C’est donc que la famille de Jeanne pouvait faire ces "lunes" et qu’il devait en rester suffisamment pour pouvoir en distribuer.
La lecture du Roman de Renart est instructive.
On y mange, on y fait la fête, on y fait ripaille …
Et si l’on voyait dans tout ceci une satire sociale mettant en scène, sous couvert d’un bestiaire improbable, une peinture pleine de malice de la société de l’époque où ce "Roman" a été composé ? Il faudrait alors voir en creux d’un côté les mœurs villageoises, agrémentées d’un regard parfois amusé sur ce qui est donné à voir et, de l’autre côté, ce que l’on est en droit d’appeler l’hypocrisie des "hautes" classes de la société médiévale, société religieuse y compris (ce que de nombreux auteurs n’ont pas manqué de faire, comme Certon – plutôt auteur de la Renaissance il est vrai – à qui l’on a attribué cette coquine de chanson Au Clair de la Lune ).
Ce qui ressort de tout ceci, c’est la grande variété des situations. Il y a eu, bien sûr, des périodes de famine ou de disette. Il y a eu aussi des périodes moins dramatiques où presque chacun pouvait manger à sa faim, de telle sorte que les travaux des champs soient possibles, que la construction des maisons se fasse, tout comme leur entretien … Variété également dans l’utilisation des ressources locales. Champignons ici, produits de la vigne là, tel fruit, tel légume, telle viande, telle "simple" … Les ressources étaient variées et nos ancêtres n’étaient pas sans inventivité.
Ni sans un sens aigu de l’observation : aujourd’hui encore, sur nombre de façades de maisons anciennes ou pas, se trouvent des poiriers.
Pourquoi des poiriers ? Tout simplement parce que c’est un fruitier qui a des racines plongeantes. Ainsi, l’arbre puise l’eau du sol et maintient les murs au sec tout en préservant ces mêmes murs grâce à ses racines qui s’enfoncent verticalement dans le sol.
En cherchant bien l’origine de recettes actuelles, chacun pourrait être surpris de leur histoire. Et sans se référer obligatoirement au Ménagier de Paris, reprendre des recettes dont cette liste de desserts, juste pour saliver. (Consulter le Ménagier de Paris)
"Le dessert médiéval était typiquement composé de dragées et de vin chaud et épicé accompagné de fromage; à la fin du Moyen Âge, on pouvait y ajouter des fruits couverts de sucre, de miel ou de sirop, et des pâtes de fruits.
Il existait une grande variété de crêpes sucrées, de beignets, de custards(préparations crémeuses) doux, de lait d'amande et de pâtisseries qui pouvaient contenir des fruits, de la moëlle ou du poisson. Les régions germanophones avaient un faible particulier pour les krapfen, des pâtisseries frites fourrées avec des douceurs.
Le massepain sous de nombreuses formes était bien connu en Italie et dans le sud de la France à partir des années 1340, et on pense qu'il était d'origine arabe.
Les livres de cuisine de l'Angleterre Normande comprenaient de nombreuses recettes pour des custards, des potages, des sauces et des tartes aux cerises, aux pommes et aux prunes. Les chefs anglais aimaient également utiliser des pétales de fleurs comme les roses, les violettes et les sureaux. Une première forme de quiche peut être rencontrée dans The Forme of Cury, un livre de recettes du XIVe siècle, et contenait du fromage et du jaune d'œuf.(Consulter l'ouvrage, The Forme Of Cury)
Dans le nord de la France, un grand assortiment de gaufres et d'oublies étaient consommées avec du fromage et de l'Hypocras ou un Malvoisie doux.
Le gingembre, la coriandre, l'anis et les autres épices étaient pris à la fin du repas pour "fermer" l'estomac. Comme leurs coreligionnaires musulmans en Espagne, les conquérants arabes de la Sicile introduisirent de nouveaux desserts qui furent ensuite adoptés dans le reste de l'Europe.
La Sicile était connue pour ses dragées et son nougat (torrone ou turrôn en espagnol). Les arabes introduisirent l'art de la crème glacée pour produire des sorbets et diverses pâtisseries à base de massepain et la ricotta adoucie."
Alors, à table !