Le voyage à Nancy
L'épisode du voyage de Jeanne à Nancy pose divers problèmes aux historiens traditionalistes, et c'est la raison pour laquelle il est très souvent minimisé, réduit à un pèlerinage à St Nicolas de Port, voire même carrément passé sous silence, la vie de la Pucelle ne commençant qu'à son départ pour Chinon !
Relevons ici les points obscurs de cet épisode :
Jeanne est invitée par le Duc de Lorraine à Nancy au cours de l'hiver 1428 ( février ).
A cette époque de l'histoire, donc bien avant Vaucouleurs et le départ pour Chinon, elle ne devrait être qu'une parfaite inconnue, gardienne de moutons selon la légende ! or voici que le souverain d'un proche duché requiert sa présence à ses côtés.
Il y a entre Domremy et Nancy, à cette époque, plus de 100 km. ( passage obligé par Dieulouard, la route traversant la forêt de Haye n'étant créée qu'aux alentours de 1720 ).
Le plan de Nancy en 1477
Néanmoins, le Duc de Lorraine la connaît, puisqu'il l'invite !
On peut alors se poser la question, d'un souverain qui a connaissance d'une bergère, autant adolescente qu'analphabète selon la légende, vivant au fond d'une campagne, en pays étranger de surcroît... En effet, le château de l'Isle, loué à la famille " d'Arc " qui y réside désormais depuis 1420, se trouve en Champagne — donc sur une terre appartenant à la couronne de France — au contraire de la Lorraine qui elle dépend du Saint-Empire.
Et surtout des pouvoirs en matière de guérison de la donzelle, car c'est bien ( officiellement ? ) pour obtenir une amélioration de sa condition physique que le vieux Duc de Lorraine mande Jeanne auprès de lui.
Charles II, Duc de Lorraine, et son épouse, Marguerite de Bavière.
Jeanne reçoit donc un sauf-conduit lui permettant de se rendre en Lorraine ( ce qui au passage détruit la légende de la " Bonne Lorraine " qui bien évidemment n'aurait pas eu besoin de laissez-passer pour voyager dans sa province ) ainsi qu'une escorte et un cheval.
Le trajet vers Nancy :
La route la mènera d'abord jusqu'à Toul, puis de Toul à Dieulouard, escortée par Jean de Dieulouard durant cette étape, puis vers Nancy avec certainement le même garant.
C'est là à notre avis que se situe l'épisode du " pèlerinage à St-Nicolas " .
En effet, il existe à cette époque à faible distance de Dieulouard ( à l'entrée de Rosières en Haye ) un ermitage St-Nicolas...
Le curé Clanché ( 1869-1957 ), vicaire de l'église de Dieulouard
jusqu'aux années 50, le signale dans son opuscule intitulé :
" Le séjour de Jeanne d'Arc à Dieulouard "
Et raconte qu'aux alentours de
1895 :
" Lors de la rectification d'une
grand route à l'entrée de Rosières en Haye, et sur l'ancien ermitage de
St Nicolas, appartenant à M. Ch. Mansuy, maire de la localité, les
ouvriers mirent au jour, sur le vieux chemin vers Dieulouard, un fragment
considérable d'un crâne de femme, avec l'inscription suivante, sur
plaque de plomb et en caractères majuscules de la fin du XIIe siècle "
Davantage d'infos sur le curé Clanché...
Il ne reste de nos jours aucune trace de ce bâtiment, mais celui-ci devait avoir à l'époque de Jeanne une importance certaine pour détenir plusieurs reliques, dont un morceau du crâne de sainte Marguerite, et une chemise de Marie Madeleine !
Il est à noter également que malgré nos recherches locales, personne n'a su nous dire ce qu'étaient devenus ce reliquaire et les objets qu'il contenait... Vraisemblablement est-il enfoui dans une réserve de la DRAC...
Il est donc bien évident que Jeanne n'est pas allée ce jour là en pèlerinage à Saint Nicolas de Port, mais est bien allée " prier " saint Nicolas dans cet ermitage situé à proximité de Dieulouard, donc sur la route habituelle menant de Toul à Nancy.
Le bulletin paroissial de Dieulouard, rédigé par le curé Clanché, nous informe bien de la découverte par des cantonniers, des bases d'une ancienne chapelle avec son autel, ( en plus des ossements et du reliquaire ) lors de la création de ce petit tronçon de route qui relie le village de Rosières en Haye au carrefour des Quatre Vents.
Selon nos informations, c'est dans le secteur de Rosières en Haye défini ci-dessus que les restes de la chapelle se trouvaient.
Etait-ce pour honorer ce saint patron des Bons .'. Cousins .'. Charbonniers, ou bien pour se recueillir devant une relique de Marie Madeleine que Jeanne va visiter ce lieu ?
Ou peut être encore pour assembler les pièces d'un puzzle...?
On la verra plus tard rechercher une épée à Fierbois, puis séjourner dans la tour " templière " du Coudray...
A Nancy :
A Nancy, il est relaté que Jeanne courut une lance devant le Duc de Lorraine, ce qui pour le Littré signifie que Jeanne participa à ce que nous nommons aujourd'hui un tournoi !
Courir une lance, se disait de deux chevaliers qui couraient l'un contre l'autre la lance en arrêt.
Des chevaliers courant l'un contre l'autre!
Ce qui interpelle à nouveau !
En effet, les joutes sont réservées aux seuls
chevaliers, ce qui implique que Jeanne possède d'ores et déjà ce statut… réservé
exclusivement à la noblesse !
Ce qui tord le cou à la légende de l'anoblissement de Jeanne et de sa famille...
Tournois, joutes, passes d’armes et behourds :
Les hérauts introduisent les combattants dans les tournois, dont ils règlent les modalités. Philippe VI de Valois, roi de France du 1 er avril 1328 jusqu’à son trépas survenu à Nogent-le-Roi ( Eure-et-Loir ) le 22 août 1350, édicte une ordonnance qui comporte des prescriptions strictes quant au comportement des tournoyeurs :
" Quiconque ne sera pas noble de trois races paternelles et maternelles du moins, et qui ne fera paroître le certificat des armes qu’il porte, ne sera point admis au nombre des combattants ".
" Celui qui sera accusé et convaincu de foi mentie sera honteusement exclu du tournoi, et ses armes seront renversées et foulées aux pieds par les officiers d’armes " .
Une douzaine d’articles, dont l’application appartient à ceux-ci, fait des tournois et pas d’armes, des jeux courtois entre nobles de bonne compagnie qui mesurent leur force et leur adresse.
De plus, les combattants portent l'armure !
Où Jeanne a-t-elle pu trouver ce jour-là un équipement adapté à sa morphologie ? une armure peut éventuellement être interchangeable entre deux hommes de même stature, mais une femme présente trop de différences physiques ( taille générale, poitrine, bassin... ) pour pouvoir endosser l'armure d'un homme.
Armure médiévale
Il est donc vraisemblable que cet équipement existait déjà bien avant ce voyage, et que Jeanne en avait l'habitude : il parait inconcevable de faire trois pas et de monter à cheval sanglé dans une armure ( qui limite à la fois les mouvements et le champ de vision ) de but en blanc, sans aucun entrainement !
Une autre question se pose alors.
Pourquoi Jeanne, qui vient pour une visite au Duc, dans le but " officiel " de lui soulager ses douleurs, a-t-elle justement apporté cette armure avec elle ? soit en la portant, soit en la faisant transporter !
N'y avait-il pas une autre raison au transport de cet équipement ?
Et si c'était tout simplement pour permettre au Duc de juger de la préparation militaire de la petite protégée de son gendre, René d'Anjou ?
Alors on la fait combattre en place publique, et on peut s'apercevoir, au vu de sa technique, que Jeanne est maintenant prête à s'en aller guerroyer ! on peut alors lancer l'opération " bergère " !
N'oublions point que le Duc de Lorraine et Yolande
d'Anjou étaient alliés, le premier ayant donné sa fille au fils de la
seconde... On trouve donc ici le fameux René d'Anjou... en fait le beau-frère de Charles de Ponthieu...
De plus, l'épouse de Charles II de Lorraine se nomme ... Marguerite de Bavière !
L'épopée de Jeanne peut commencer : elle peut alors assurer le Dauphin du soutien du Duché de Lorraine dans sa quête du pouvoir royal. Ce qui n'est pas rien dans la bataille...
Et ce qui nous semble être un des secrets de l'entrevue de Chinon...
Le curé de Dieulouard, Clanché .
Lorsque le curé de Dieulouard, le père Clanché, voudra honorer dans son église la mémoire de Jeanne et rappeler son passage en sa petite ville pour visiter le vieux Duc de Lorraine, la statue qu'il commandera à un atelier d'artistes de Nancy représentera Jeanne en armure.
L'abbé Clanché.
Et cette statue, qu'on peut apercevoir ci-dessous rénovée, faisait partie d'un groupe statuaire représentant Jeanne en orante et un homme d'armes identifié comme Jean de Dieulouard (?), devant Marie Madeleine portant son enfant sur les genoux.
Gustave Clanché a écrit de nombreux livres sur Dieulouard et Jeanne d'Arc ! il n'est pas un quelconque plumitif, mais bien un érudit de l'épopée johannique. Ce qui pour nous signifie que lorsqu'il fait représenter Jeanne en armure lors de son voyage à Nancy, il ne le fait pas innocemment, mais en toute connaissance de cause !
On est donc bien loin de la gardienne de moutons !
Et pour enfoncer le clou, il est bien évident que l'adoubement (donc la chevalerie) est interdit à la roture ! Jeanne est donc noble, bien avant le brevet d'armoiries délivré par Charles VII…
En résumé, la thèse officielle nous présente une gamine, bergère de son état, ignorante de bien des choses de la vie, dont on découvre qu'elle est en fait connue pour ses dons de guérisseuse par un souverain étranger, et qu'elle maîtrise le maniement des armes et l'équitation de combat, et qu'elle est noble car déjà adoubée !
On nous pose souvent la question des " connaissances médicales " de Jeanne... Pour nous, cette dernière a été éduquée dans une importante communauté religieuse, et a dû de ce fait recevoir une formation en la matière : Hildegarde de Bingen avait dès le XIIe siècle mis par écrit des principes médicaux particulièrement novateurs qui étaient enseignés dans les couvents !
Pour une plus ample information, on peut se reporter à l'étude suivante de Laurence Moulinier, à propos d'Hildegarde de Bingen et les plantes médicinales.
Article de Laurence Moulinier ( lien cliquable )
Hildegarde de Bingen
Par ailleurs à notre connaissance, aucun auteur ne s'est jamais préoccupé de la préparation militaire des " frères " (adoptifs) de la Pucelle ! où ont-ils reçu la formation au métier des armes qui va leur permettre d'embrasser une telle carrière ? pour nous, celle-ci s'est déroulée en même temps que celle de Jeanne, dans l'enceinte du Château de l'Isle, sur les hauteurs de Domremy de Greux...
Mais d'où proviennent les informations du vieux Duc de Lorraine sur Jeanne ?
Qui a pu l'informer, du secret de sa naissance vraisemblablement, de son éducation sans doute, et de son initiation certainement ?
Car Jeanne viendra à la cour de Nancy officiellement pour soulager les douleurs de son hôte. A aucun moment l'histoire officielle ne creuse ce point de la vie de l'héroïne !
Qui a-t-elle déjà soigné ( et guéri ) pour posséder cette réputation de thaumaturge ?
En passant, on peut également s'interroger sur la connaissance qu'avait Jeanne de la vie privée du vieux duc de Lorraine, à qui elle reprochera d'avoir une liaison adultérine : comment une jeune bergère analphabète aurait-elle pu connaître cette anecdote ?
Lors de l'entrevue, la " bergère " en effet admoneste sévèrement le vieux souverain, lui enjoignant pour soulager ses douleurs de répudier sa jeune maîtresse Alison May, avec laquelle il avait une liaison depuis 1419, liaison quasi officielle qui avait produit 5 enfants ! On peut ajouter que l'épouse légitime se nommait Marguerite de Bavière...
( lire une excellente étude sur Charles II et Alison May )
Enfin, et c'est là la conclusion de notre paragraphe, à la question du Duc lui demandant ce qu'elle voulait, Jeanne aura cette réponse ( énigmatique ? ) : " donnez-moi votre fils ! "
Il faut comprendre ici, dans le vocabulaire de l'époque, son beau-fils, l'époux d'Isabelle de Lorraine, René d'Anjou ! que signifie cette demande de Jeanne par rapport à un homme qu'elle n'est pas même censée connaître ?
Une autre information :
Un correspondant anglais nous indique que Sotheby, célèbre salle des ventes londonienne, a vendu en 2009 un parchemin décoré de nombreuses enluminures, dont trois mettent en scène Jeanne. Sur la première représentation, on peut voir un personnage couronné, identifié comme Sigismond de Luxembourg, empereur de l'Empire Romain Germanique, expédiant grâce à un messager, figurant ici le genou ployé, un courrier scellé à Jeanne, Pucelle d'Orléans.
L'empereur Sigismond écrivant à Jeanne la Pucelle
L'empereur est bien contemporain de Jeanne, puisque ayant vécu de 1368 à 1437, de même que le graveur, Diebold Lauber ( né avant 1427, mort après 1471 ) qui exerçait à Haguenau !
L'image suivante montre Jeanne envoyant sa réponse à Sigismond.
On s'aperçoit donc que Jeanne, la " paysanne illettrée ", correspondait avec le dirigeant du Saint Empire Romain Germanique, un des personnages les plus importants de son temps... et suzerain du Duc de Lorraine...
Pour info, cette pièce a trouvé preneur à plus d'un million de Livres...
La bannière d'Orléans :
Alors rapprochons-nous de la bannière d'Orléans, objet d'un autre chapitre, sur laquelle on peut voir Jeanne et René agenouillés aux pieds de Marie-Madeleine, l'enfant de cette dernière passant l'anneau ( nuptial ? ) au doigt de René…
Quelles avaient été les relations de Jeanne et de René, dont on doit se douter qu'elles duraient depuis plusieurs années, René étant vraisemblablement " l'archange Michel " des apparitions...
Amicales, très amicales, ou carrément amoureuses ?