Jeanne des ARMOISES   La fausse Jeanne d’Arc est-elle inhumée dans l’église de Pulligny ?   En cette année de commémoration du sixième centenaire de la naissance de Jeanne d’Arc à Domremy (88) et non Domrémy comme beaucoup l’écrivent encore, il fallait ressortir des archives l’histoire qui lie Jeanne d’Arc à Pulligny.   L’article qui suit a été écris par Léon Phulpin pour la revue régionale LA REVUE LORRAINE POPULAIRE N° 103 en 1991. Il a été à nouveau publié dans le Bulletin Périodique du Groupe des Ingénieurs Arts et Métiers de Meurthe et Moselle en mai/juin 2007.   Cet article est publié avec l’aimable autorisation de son auteur.   Seules les dates de références ont été actualisées afin de se situer par rapport à 2012 et non 1991 comme dans le texte original.     *****     Il y a une cinquantaine d’année, les thèses anticonformistes sur la naissance et la mort de Jeanne d’Arc ont fait leur apparition. Nous laisserons de côté, dans cette étude, la thèse de la naissance pour ne nous attacher qu’à un point particulier de la thèse anticonformiste de la survivance.   Des articles et des ouvrages de plus en plus nombreux exposent avec une quasi-certitude que, par une substitution de dernière minute, Jeanne d’Arc aurait échappé à la mort sur le bûcher de Rouen le 30 mai 1431. Elle serait alors, quelques années plus tard, venue en Lorraine, y aurait vécu sous le nom de Jeanne des Armoises après avoir épousé Robert des Armoises et serait inhumée dans l’église de Pulligny.   Nous nous limiterons, dans le présent article, à faire état de nos recherches visant à savoir si Jeanne des Armoises a pu être inhumée dans cette petite église de Pulligny, village situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Nancy.   L’affaire prend son origine à la  lecture de la chronique messine du Doyen de Saint-Thiebaut (1) dont le récit s’arrête à 1465. Selon cette chronique, une femme se manifeste dans la région de Metz en mai 1436, et qui, après être passée par Cologne notamment, épouse à Arlon, la même année, Robert des Armoises. Celui-ci, membre de la célèbre famille des Armoises, fait son dénombrement au Duc de Bar le 16 février 1424, pour la seigneurie de Tichémont (2) située dans la vallée de l’Orne, sur la rive droite, face à celle d’Hatrize. Robert verra plus tard Tichémont confisqué par le Duc, qui la remettra le 8 septembre 1435 à Joffroy d’Apremont (3). Robert ne la récupérera plus. Un texte du 7 novembre 1436, cité par Don Calmet sans indication de source, a alors permis à certains auteurs de conforter la thèse de la survivance de Jeanne d’Arc. Ce texte concerne la vente par Collard de Failly, écuyer demeurant à Marville et Ponsette sa femme, à Robert des Armoises et à sa femme, des revenus du quart de la seigneurie d’Haraucourt pour une durée de quatre ans de mai 1441 au 24 mai 1445. Le texte de l’article de vente débute ainsi : « Nous, Robert des Hermoises, chevalier, seigneur de Tichiémont et Jehanne du Lys la Pucelle de France, dame dudit Tichiémont, ma femme, licenciée et autorisée de moy Robert dessus nommé… » C’est le terme de « Jehanne du Lys la Pucelle de France » qui, répété encore une fois à la fin de l’acte, fera de Jeanne des Armoises la survivante de Jeanne d’Arc. Les tenants de cette thèse la feront demeurer dans une région proche de Tichémont et Metz. Ils la feront vivre jusque 1450.             Nous apprenons que Jeanne a un filleul, Louis des Armoises, fils ainé de Philippe des Armoises, seigneur d’Autrey, auquel elle rend fréquemment visite. Elle est ainsi amenée à traverser le village de Pulligny distant d‘Autrey de un kilomètre. Lors de ses passages à Pulligny, admirant l’église en construction, elle manifesta le désir de s’y faire enterrer. Nous apprenons aussi que l’église n’est pas terminée lorsque Philippe des Armoises prit possession d’Autrey et que Jeanne participa par des dons à son achèvement. Nous ne connaissons pas les dates de construction de l’église. Nous savons seulement, grâce à une inscription gravée dans la pierre de la « haute chapelle », que Perrin, un membre de la famille de Pulligny qui en possédait la seigneurie, décédé le 24 septembre 1446, fut enterré dans l’église. Et nous en arrivons à l’affirmation que Jeanne des Armoises repose aux côtés de son époux Robert des Armoises, sous une dalle de pierre, à droite, à l’entrée du chœur de l’église de Pulligny. En plus qu’une plaque, rappelant le souvenir des deux époux, a été apposée au mur d’une chapelle à proximité  de la tombe.     Mais voilà ! Il n’y a plus de trace dans l’église de Pulligny de la pierre tombale. Le sol a été recouvert d’un carrelage à la fin du XIXème siècle, et l’abbé Eugène Martin, qui a décrit l’église dans sa monographie (4) de la localité, aurait volontairement omis de parler de la sépulture des Armoises. De quel poids justificatif aurait pesé la condition, qu’en 1897, le curé de l’époque avait mise pour participer aux dépenses de remplacement du dallage, si la correspondance en faisant état avait été exhumée des archives (5). Le versement de cette participation, se montant à 850 francs, imposait que l’ancien dallage, reste à la disposition personnelle du curé. Il n’y a également plus trace de la plaque souvenir : elle aurait aussi volontairement déposée. Et serait disparue. Un fait survenu au milieu du XVème siècle, aurait pu permettre un rapprochement de Jeanne des Armoises avec Pulligny. Vers 1450, Philibert des Armoises, le fils de Robert (né d’un premier mariage, ce mariage avec Jeanne étant le second) qui avait récupéré le domaine de sa mère, vendit la seigneurie de Tichémont en même temps que celle d’Hatrize, à Didier-de-Landres (6). Ce dernier était l’époux en deuxièmes noces de Jeanne de Pulligny, la fille de Perin de Pulligny (7), inhumé dans l’église de Pulligny en 1436 comme nous l’avons vu précédemment. Cette Jeanne s’est donc appelée « Dame de Tichémont » à une époque extrêmement rapprochée de celle où Jeanne des Armoises pouvait s’arroger ce même titre. Remontons à la période antérieure à 1450, cette dernière date étant celle qui est donnée comme date présumée du décès de Jeanne des Armoises. Nous constatons qu’Autrey est en possession de Simon de Saint-Menge, comme l’atteste un acte du 13 avril 1428 (8), dont l’objet est une vente par Simon à la Contesse de Deuilly, mais ne concerne pas les biens d’Autrey. Par son dénombrement du 27 février 1451 (9) débutant ainsi : « Je, Simon de Saint-Monge, chevalier, seigneur d’Aultrey, fay savoir et congnoissant à tous que je tiens en plain fief liege et en homaige et advone a tenir cez présentes de mon très-redoubté segnour monseigneur Anthonne de Lorraine, conte de Vaudemont, à cause de son chastel et segnorie d’Aultrey, et les appartenances… » Il ressort que Simon de Saint-Menge est encore et sans partage, haut, moyen et bas justicier de la seigneurie d’Autrey. Il le restera jusqu’à son décès en 1456. Nous savons par les sépultures, encore visibles de nos jours dans l’église d’Autrey, et décrites par Léon Germain (10), que les Armoises ont possédé la seigneurie. Une question se pose : à quelle période cette prise de possession a-t-elle eu lieu et comment s’est-elle réalisée ? Les archives départementales de Meurthe-et-Moselle permettent d’apporter une réponse satisfaisante à ces questions (11). Un long procès qui s’ouvrit au décès de Simon de Saint-Menge, pour sa succession, nous renseigne qu’il a deux sœurs, Isabelle et Elisabeth. Isabelle épousa successivement N. Passepergaire, Jacques d’Orne et Jean de Toulon. Du premier mariage naît un fils, Erard Passepergaire. Du second mariage naît un autre fils, Jean d’Orne. Au décès de son père, elle est l’épouse de son troisième mari dont elle n’a pas d’enfant.     Elisabeth épouse Louis du Fay dont elle a un fils ; Robert du Fay. Ce sont Jean de Toulon, Erard Passergaire, Jean d’Orne et Robert du Fay qui, se disputant l’héritage d’Autrey, sont à l’origine du procès. Autrey faisant partie du comté de Vaudémont, le comte est amené à ordonner que cette seigneurie « reste entre ses mains » jusqu’il ait pris une décisison. Dans les termes suivants : « notre ame et feal loys des Armoises, seigneur d’Autrey et de Saint Mengé en notre dit duché de Lorraine, fils légitime et seul héritier de feue damoiselle Isabel du Fayl, en son vivant ferme de Philipes des Armoises et jadis fille de feu Loys du Fayl… » Une « lettre patente » du duc de Lorraine et Barrois, René II, donnée le 14 mai 1481 (12), confirmant une cession des biens à Saulxures au duché de Bar, nous permet de dire que Louis des Armoises, le premier de cette famille inhumé dans l’église d’Autrey, en est le seigneur de par son mariage avec Isabelle du Fay fille de Louis du Fay. Louis des Armoises sera tué à la bataille d’Ancy près de Metz en février 1490 (le 17/2/1489 ancien style). Une indication dont les sources restent à approfondir, indique que Philippe des Armoises a épousé Isabelle du Fay vers 1460. Les différents personnages qui viennent d’être évoqués se retrouvent dans le tableau généalogique et nous pouvons tirer la conclusion suivante :   La seigneurie d’Autrey ayant appartenu en totalité à la famille de Saint-Menge jusqu’en 1456, pour passer plus tard à la famille du Fay par héritage et seulement après à la famille des Armoises, il est difficile de faire croire que Jeanne des Armoises, la fausse Jeanne d’Arc, ait pu avant 1450, date présumée de son décès, rendre visite à Autrey a des Armoises, qui ne pouvaient pas s’y trouver et encore moins à un filleul, Louis des Armoises, qui n’était pas encore né. Il en découle que dire que l’église de Pulligny a contenu la sépulture de Jeanne des Armoises ne peut que relever de l’imagination.   Léon Phulpin   Notes : (1) Quicherat – Procès (2) AD54 – B592 n°204 (3) AD54 – B192 n°212 (4) Pulligny – par l’abbé E. Martin – Crépin Leblond – Nancy 1893 (5) AD54 – Archives communales de Pulligny (6) Guide des Châteaux de Meurthe-et-Moselle – Ed. Hermé 1985 (7) Pulligny – par l’abbé E. Martin – op. cit. (8) AD54 – B959 n°11 (9) AD54 – B958 n°14 (10) Mémoires de la Société d’Archéologie Lorraine 1920-1922 (11) AD54 – B962 n°36, 37, 38, 39, 40, 40bis, 82 (12) AD54 – B2 P52     *****